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Cameroun : L’expulsion motivée du domicile conjugal ou la figure inversée du droit de répudiation (2/2)

Afrique - Droits nationaux
26/07/2018
La consécration de l’expulsion motivée du domicile conjugal, qui est le pendant de la répudiation, par le législateur pénal vient renouveler le débat sur la nature institutionnelle ou contractuelle du mariage. Un époux a au Cameroun, le loisir d’expulser son conjoint du domicile conjugal à condition que l’expulsion soit motivée (v. C. pén., art. 358-1). Toutefois, une interrogation demeure en ce qui concerne la légitimité de cette motivation étant donné que le législateur n’y apporte aucune précision. Les explications de Monique Aimée Mouthieu Njandeu, agrégée des Facultés de droit, Université de Yaoundé II-Cameroun (pour la première partie de l'article, v. ICI).
II- LES CONSÉQUENCES DE LA CONSÉCRATION DU DROIT D’EXPULSION MOTIVÉE DU DOMICILE CONJUGAL

La consécration du droit d’expulsion motivée du domicile conjugal, mieux, du droit de répudiation en faveur des conjoints par le législateur pénal constitue un bouleversement de l’ordre public matrimonial. À ce titre, elle engendre des conséquences de plusieurs ordres. Dans le cadre de cette réflexion, nous essayerons de les appréhender aussi bien sur le plan juridique (A) que sur le plan sociologique (B).
 
A-SUR LE PLAN JURIDIQUE
La possibilité offerte désormais aux époux de se défaire unilatéralement de l’engagement matrimonial traduit, à n’en point douter, une interférence malheureuse du législateur pénal en droit civil de la famille, mieux, une source de contradictions (1). En outre, elle est le reflet du caractère contractuel du mariage (2).
 
1- La contrariété des dispositions pénales et civiles
La répudiation est appréhendée comme une des facettes de la séparation de fait, notamment celle qui procède de la rupture unilatérale de la cohabitation. Une rupture due à la faute d’un des époux ou même en l’absence de celle-ci. Or, en principe, rien, même pas leur accord, ne devrait dispenser les époux du devoir de cohabitation dès lors que l’article 215 du Code civil martèle avec force que la femme est obligée d’habiter avec son mari, et il est tenu de la recevoir. Par conséquent, les pactes de séparation amiable par lesquels les époux conviendraient de se séparer en réglant les détails liés à la pension alimentaire et à la garde des enfants, n’ont pas reçu un accueil favorable. La nullité desdites conventions était fondée sur le fait que la séparation de corps ne peut avoir lieu par le consentement mutuel des époux. Un acte de séparation amiable, s’il était reconnu valable, équivaudrait à une séparation de corps par consentement mutuel sans occulter le fait qu’il heurte l’ordre public en organisant, en quelque sorte, la violation du devoir de communauté de vie. On comprend alors qu’en droit, le pacte ne lie pas les époux (v. Voirin P., Goubeaux G., Droit civil, Personnes-Famille, Personnes protégées, Biens-Obligations, Sûretés, t. 1, LGDJ, 31e éd., 2007, n° 296, p. 140). Il s’ensuit que chacun d’eux peut, à tout moment se refuser à exécuter les obligations mises à sa charge par la convention et en même temps, offrir la reprise de la vie commune (pourvu que ce soit dans des conditions acceptables par le conjoint, sinon il y aurait faute).
 
En principe, cette solution demeure puisqu’il faut une procédure judiciaire en séparation de corps pour que la loi consacre la volonté des époux de relâcher le lien conjugal.
 
Aussi, si la séparation de fait appréhendée comme une situation de non-droit n’avait pas été prise en considération par le droit du fait qu’elle ne produisait aucune conséquence juridique – même si passivement on pouvait en relever – (l’article 76, alinéa 1 de l’ordonnance n° 81-02, 29 juin 1981, Portant organisation de l’État civil ; mod. par L. n° 2011/011, 06 mai 2011 : dispose que « l’épouse abandonnée par son mari peut saisir la juridiction compétente aux fins d’obtenir une pension alimentaire tant pour les enfants laissés à sa charge que pour elle-même »), il n’en est plus de mêmes aujourd’hui.
 
En effet, l’article 358-1 du Code pénal reconnaît implicitement le droit d’expulsion, mieux, de répudiation en dehors de toute procédure judiciaire à un conjoint dès lors qu’il est fondé sur un motif légitime. On le constate bien, la contrariété des dispositions civiles et pénales est évidente. En attendant une mise en harmonie des textes sur la question, chacun des époux convoquera certainement au gré de ses intérêts, le texte qui lui semble favorable. Au demeurant, en l’état actuel du droit positif, la sécurité juridique se trouve menacée par cette hésitation.
 
Cependant, une chose est sûre : l’expulsion unilatérale motivée du domicile conjugal est permise par la loi. Elle vient accorder du crédit à la répudiation qui en est l’autre versant, et consacre, à n’en point douter, un véritable droit de répudiation en faveur des conjoints en droit camerounais. Si le principe d’une telle rupture unilatérale du lien conjugal semble désormais arrêté, ses contours restent en revanche incertains. En plus, la question de l’introduction d’une faculté de mettre fin au lien conjugal sans recourir au juge en cas de motif légitime semble heurter de plein fouet l’aspect institutionnel du mariage. De prime abord, on serait tenté d’y répondre par la négative dans la mesure où cette faculté est conditionnée par l’existence d’un motif légitime. Mais c’est précisément dans l’hypothèse d’une rupture unilatérale, intervenue sans que la condition de l’existence d’un motif légitime soit satisfaite, que le droit d’expulsion risque d’être le plus malmené. La stabilité du lien conjugal est soumise à l’absence de volonté de l’une ou l’autre des parties d’y mettre fin, dans des circonstances légitimes ou illégitimes (v. Chauvire P., Quelle sanction pour la rupture unilatérale du contrat en l’absence de comportement grave ?, RLDC 2010/3951, p. 7). Le lien conjugal est alors à la merci de la gestion, par un conjoint, de ses intérêts égoïstes. Cette situation marque non seulement une contradiction criarde au niveau des dispositions pénales et civiles, mais surtout une avancée vertigineuse vers la contractualisation du mariage.
 
2-Le reflet d’une densification du caractère contractuel du mariage
À la faveur d’une morale de plus en plus permissive et du développement de la contractualisation des relations familiales (v. Mbandji Mbena E., La contractualisation des rapports pécuniaires entre époux en droit camerounais, in Perspectives of business Law journal, nbr. 6-1, 2016, p. 84), le législateur reconnaît à un conjoint le pouvoir de principe de mettre unilatéralement un terme au lien matrimonial, en excluant l’autre du domicile conjugal, sur la base d’un motif légitime. L’exigence d’un motif légitime est destinée à protéger l’autre conjoint en limitant la possibilité de rompre unilatéralement le lien conjugal à des circonstances exceptionnelles.
 
Pour que l’expulsion d’un conjoint du domicile conjugal ne donne pas lieu à sanction, il faut qu’elle soit fondée sur un motif légitime. Aussi semblerait-il que la seule existence d’un motif serait insuffisante ; encore faudra-t-il que ce motif rende impossible la continuation de la vie commune. À défaut de définition légale du « motif légitime », et en attendant l’intervention salutaire de la Cour suprême dans ce sens, et au besoin, l’établissement d’un catalogue de motifs légitimes dont le conjoint qui prend l’initiative de l’expulsion devra s’inspirer en pareille occurrence, quelques propositions méritent d’être faites.
 
L’expulsion peut intervenir en l’absence de faute de la victime. Dans ce cas, elle peut être justifiée lorsqu’une mésentente grave ou une méfiance totale s’installe entre les époux. Rien n’est en réalité reproché à un conjoint. Mais le climat qui prévaut au sein du foyer n’est propice ni à l’épanouissement personnel, ni à celui commun des époux. L’on est tenté de dire que le lien conjugal est altéré. Et si la situation perdure, elle ne peut plus être viable. Elle devient alors irrémédiable et de ce fait, devrait légitimer la cessation de la communauté de vie entre les époux. On comprend que l’époux audacieux qui se lasse de vivre dans cette mascarade d’union conjugale vidée de sa ferveur et de sa saveur, puisse chercher à s’affranchir de cet enfer terrestre, au besoin, en expulsant l’autre du domicile conjugal, motif pris de cette incompatibilité d’humeur (on le voit bien, le recours prétorien à l’incompatibilité d’humeur peut légitimer l’expulsion d’un conjoint du domicile conjugal).
 
En effet, celle-ci ne trouve pas son origine dans la faute d’un des conjoints et elle ne s’accompagne pas non plus d’une violation caractérisée des devoirs du mariage. En droit français, sans être ouvertement un cas de divorce, l’incompatibilité d’humeur était néanmoins illustrée par des faits constitutifs d’une cause de divorce. L’on observe que les juges étaient d’autant plus enclins à retenir le caractère fautif de ces faits qu’ils ont pu constater, à travers eux, l’existence d’une incompatibilité d’humeur (v. Terré F., Fenouillet D., Droit civil, op. cit., n° 495, p. 428 : il peut s’agir du mauvais caractère de l’un des époux, du fait qu’il soit mal élevé, taciturne ou autoritaire ou alors refuse de s’adapter à la mentalité et au genre de vie de l’autre ; il peut s’agir aussi des écarts dus au tempérament du mari ; il peut en outre s’agir de la froideur et de l’indifférence de la femme, de son attitude acrimonieuse et acariâtre, de son humeur atrabilaire et de ses propos médisants).
 
Parfois aussi, l’expulsion sera consécutive à une faute. Une incursion dans le droit du travail s’avère utile ici dans la mesure où la systématisation de la faute y a été faite par la jurisprudence (v. Pougoué P.-G., Droit du travail et de la prévoyance sociale au Cameroun, t. 1, PUC, 1988, p. 166 ; v. également, J. Djuikouo, La faute du salarié, obs. sous CS, arrêt n° 30/S du 19 déc. 1967, affaire J. B. c/ Régie des chemins de fer, in Les grandes décisions du droit du travail et de la sécurité sociale, sous dir. Tchakoua J.-M., JusPrint, 2016, p. 254).
 
Il se dégage trois orientations relatives aux fautes légère, grave et lourde. La faute légère est une faute d’une faible importance ; si elle n’est pas en principe de nature à légitimer une rupture du contrat de travail, on admet néanmoins que plusieurs fautes bénignes peuvent y conduire (v. CS, arrêt n° 16/S du 29 oct. 1987, M. P. c/ Imprimerie Nationale, Jurisprudence sociale annotée sous dir. Pougoué P.-G., t. 3, p. 41 : dans cette hypothèse, il y a faute grave). La faute grave est l’hypothèse dans laquelle le motif, bien que légitime, parce que rendant intolérable le maintien du contrat de travail, ne nécessite pas une rupture immédiate ; d’où la nécessité d’observer le préavis. La faute est dite lourde lorsqu’elle est extrêmement grave qu’il s’agisse d’une faute intentionnelle ou non intentionnelle, ayant causé un préjudice grave à l’autre. Elle légitime la rupture du contrat de travail en même temps qu’elle justifie l’immédiateté de ladite rupture.
 
Par transposition, il semble qu’il faille retenir que la faute légère, la faute lourde et la faute grave pourraient constituer des motifs légitimes d’expulsion du conjoint du domicile conjugal, sans que le régime de cette trilogie soit le même. Dans le premier cas, l’expulsion du conjoint n’est possible qu’en cas de répétition : tel serait par exemple l’hypothèse de l’état d’ébriété poussé d’un époux ou du retour d’un époux au domicile conjugal à une heure indue. Dans le second, on peut envisager une expulsion immédiate du conjoint fautif : il a par exemple été retenu en droit français que les prélèvements réalisés par l’épouse, à l’insu de son mari lui reprochant son caractère intéressé, sur les comptes communs constituent des manquements graves au devoir de loyauté constitutifs d’une violation grave et renouvelée des obligations du mariage rendant intolérable le maintien de la vie commune (Cass. 1re civ., 25 mars 2009, RJPF 2009, 6/28, obs. Garé Th. ; il s’agit d’un manquement au devoir de loyauté). Il semble par contre que l’expulsion immédiate du conjoint fautif ne s’impose pas dans le troisième cas : ce qui laisse encore un peu de temps de réflexion à l’époux offensé (ce laps de temps peut être salutaire pour le couple dans la mesure où le pardon de l’époux offensé peut intervenir et par conséquent, empêcher l’expulsion du conjoint fautif qu’il avait déjà programmée).
 
On l’aura constaté, le motif légitime sur la base duquel l’expulsion est fondée, met en exergue non seulement l’aspect contractuel du mariage, mais surtout sa primauté sur son caractère institutionnel. Certes, si l’on peut relever les germes de la contractualisation du mariage dans l’Avant-projet du Code camerounais des personnes et de la famille, leur intensité ne va pas jusqu’à lui enlever son caractère institutionnel. C’est ainsi que dans l’hypothèse du divorce par consentement mutuel, il est prévu à l’article 398 que : le juge homologue la convention qui règle les conséquences du divorce ainsi que les mesures provisoires et prononce le divorce s'il a acquis la conviction que la volonté de chacun des époux est réelle et que leur consentement est libre et éclairé. Il faut redouter les conséquences de cette ouverture sur le plan sociologique.
 
B-SUR LE PLAN SOCIOLOGIQUE
Du fait de la légitimité parfois diversifiée des motifs la fondant, l’expulsion motivée du domicile conjugal de l’article 358-1 du Code pénal est une ouverture à la déstabilisation du mariage et plus largement, de la famille. L’expulsion pourra émaner à la fois des époux qui sont les seuls titulaires de ce droit (1) et du juge chargé d’apprécier la légitimité du motif (2).

 1- L’ouverture à la déstabilisation du mariage par les époux  
Si on admet que le mariage est un pur produit de la volonté des époux, il est légitime qu’ils y mettent fin sur la base d’un motif légitime. Il convient d’appréhender la légitimité du motif fondant l’expulsion d’un conjoint du domicile conjugal de manière large. Dans ce sens, elle peut être fondée indifféremment tant sur l’intérêt de la famille (on parlera de motif objectivement légitime) que sur celui personnel d’un époux (il s’agira de motif subjectivement légitime).
 
L’expulsion peut être le fait du conjoint en danger c’est-à-dire, de celui ou de celle qui s’estime victime des violences, ou qui se trouve en danger de les subir. Il n’est pas nécessaire que des faits de violence soient déjà établis. Il suffit que leur commission soit vraisemblable.
 
Le danger redouté n’est pas que physique. Il peut aussi être psychologique. C’est le cas des injures en général, telles les disputes réciproques intenses accompagnées de violences verbales, qui traduisent un manque de respect mutuel de chacun des époux envers l’autre.
 
Dans le droit prospectif de la famille, la violence conjugale n’est plus une question de fait laissée à l’appréciation des époux. Pour y mettre fin, l’article 359 de l’avant-projet du Code camerounais des personnes et de la famille indique que « lorsque les violences exercées par l'un des époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants, le juge peut statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal ». Cette disposition est déjà en vigueur en droit français ; en effet, pour mettre fin à la violence conjugale, l’article 515-11, 3° du Code civil indique que le juge aux affaires familiales (JAF) préalablement saisi, « statue sur la résidence séparée des époux » en précisant à qui est attribué le logement conjugal, et à qui incombera son financement. Sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée au conjoint qui n'est pas l'auteur des violences (v. les alinéas 3 et 4 de l’article 359 de l’Avant-projet camerounais du Code des personnes et de la famille). Il s’ensuit que c’est par principe le conjoint violent qui est évincé du logement, à moins cependant que, l’autre ne préfère s’en aller.
 
Dans ce dernier cas, le conjoint qui est resté au domicile conjugal responsable de la fuite de l’autre, pourrait être condamné à payer le loyer à celui qui est parti (c’est la solution retenue en droit français : v. Dekeuwer-Defossez F., Les aspects civils de la loi relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, RLDC 2010/3970, n° 75, p. 46).
 
En attendant que le droit positif se saisisse de cette situation de voie de fait entre les époux, les réalités locales donnent de relever que très souvent, c’est l’auteur de la violence qui réussit à évincer la victime du domicile conjugal. Bien plus, il peut la retrouver dans sa cachette pour continuer à la violenter. C’est ce qui justifierait que généralement, pour des besoins de sécurité, mieux, pour éviter tout retour de bâton de la part de son conjoint, la femme répudiée se réfugie dans sa belle-famille. En effet, le fait de la domiciliation d’une épouse chez un tiers même sur autorisation du mari, constitue un comportement injurieux envers ce dernier (v. Gallois J., L’hébergement de l’épouse au domicile d’un tiers, signe d’un comportement injurieux envers son mari, Personnes et familles, RLDC 2011/4137, n° 79, p. 45 : le seul fait pour une épouse, alors séparée de son mari, d’être hébergée chez un tiers, sans que soit rapportée la preuve d’un adultère, est constitutif d’un comportement injurieux envers son époux : Cass. 1re civ., 1er déc. 2010, n° 09-70.138). En droit français cependant, l’ordonnance de protection peut autoriser la victime des violences qui a fui le logement commun, à cacher sa nouvelle adresse. Elle pourra se domicilier pour les besoins de l’instance, soit chez son avocat, soit auprès du procureur de la République. L’huissier chargé de lui signifier des actes de procédure aura connaissance de son domicile, mais devra garder rigoureusement le secret (C. civ., art. 515-11, al. 6 ; s’il y a des enfants communs, les modalités d’exercice des droits de visite et d’hébergement pourront être organisées en sorte que ce secret ne soit pas dévoilé).
 
Par ailleurs, il faut souligner que la violence émanant d’un conjoint vis-à-vis d’un autre peut rejaillir sur les relations entre ce parent et ses enfants. Dans ce sens, l’on pourrait retenir de manière générale, qu’un parent violent ne saurait être un bon parent (L. n° 2010-769, 9 juill. 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants). Cette loi française permet d’ailleurs une modification de l’autorité parentale : le juge aux affaires familiales peut prendre en compte ces violences conjugales pour statuer sur l’exercice de l’autorité parentale. Dans ce sens, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir prononcé un exercice unilatéral de l’autorité parentale et refusé le droit de visite et d’hébergement au père (Cass. 1re civ., 14 avr. 2010, n° 09-13.686, D. 2010, 1904, obs. Gouttenoire A. et Bonfils P.).
 
De même, si l’un des époux ne peut, sous peine de porter atteinte à la liberté de conscience de l’autre, interdire à ce dernier de pratiquer la religion qu’il a délibérément choisie, il ne faudrait pas que ce choix ait une incidence grave sur la vie conjugale et familiale (l’article 402 de l’Avant-projet du Code camerounais des personnes et de la famille considère comme cause de divorce, l’adhésion de l’un ou de l’autre conjoint à une secte ayant une incidence grave sur la vie conjugale et familiale). Autrement exprimé, la religion pourrait s’analyser en un motif légitime d’expulsion d’un conjoint du domicile conjugal lorsque son exercice est source de perturbation (il en serait ainsi lorsque le domicile conjugal est utilisé à l’insu, voire, contre le gré de l’auteur de l’expulsion comme lieu de rencontre cultuelle ou encore lorsque ces pratiques religieuses ont un effet néfaste sur les enfants). Tel n’est cependant pas le cas du simple zèle excessif touchant sa pratique, encore moins de la conversion du conjoint aux Témoins de Jéhovah, intervenue après un mariage catholique, tant qu’ils n’ont pas détérioré les relations conjugales et familiales.
 
La fonction d’éducation des enfants qui englobe les aspects intellectuel, moral, professionnel, civique, politique et religieux, etc., revient aux parents (l’article 213 du Code civil dispose que : « le mari est le chef de la famille. Il exerce cette fonction dans l’intérêt commun du ménage et des enfants »). Toutefois, la loi investit le parent qui n’exerce pas l’autorité parentale d’une mission de surveillance. Et, l’on peut admettre que toute dérive dans le cadre de l’éducation religieuse à l’instar de la frénésie, soit non seulement dénoncée, mais surtout réprimée. Cette sanction, fondée sur l’incapacité du mineur non émancipé et tenant au fait qu’il est lui-même inapte à assurer la protection de ses intérêts (v. Mouthieu Njandeu M. A., Les mutations de l’ordre public dans le droit de la famille en Afrique Noire francophone, in Le droit au pluriel, Mélanges en hommage au Doyen Stanislas Meloné, sous dir. Mebu Nchimi J. C., PUA, 2018, pp. 673 et s.), pourrait se traduire par l’expulsion du parent fautif du domicile conjugal.
 
Il est également concevable de considérer que l’expulsion produira toujours son effet sur le lien matrimonial, même si l’exigence d’un motif légitime n’est pas remplie. L’absence de la condition nécessaire ne fera pas obstacle à la rupture unilatérale du lien conjugal. Sa stabilité est en effet tributaire de l’absence de la volonté de l’un ou de l’autre conjoint d’y mettre fin. Alors que le lien conjugal est frappé par une certaine précarité, la responsabilité de l’auteur de l’expulsion est limitée aux sanctions non dissuasives prévues à l’article 358-1 du Code pénal. Cette fragilisation du mariage peut aussi être le fait du juge, dont l’immixtion est fondée sur l’encadrement de la volonté des époux, à travers l’appréciation souveraine de la légitimité du motif d’expulsion qui lui incombe.
 
2 - L’ouverture à la déstabilisation du mariage par le juge
L’article 358-1 (1) du Code pénal punit l’époux ou l’épouse qui, en dehors de toute procédure judiciaire, expulse voire répudie sans motif légitime, son conjoint du domicile conjugal. C’est donc la preuve de la légitimité du motif soumise à l’appréciation du juge, qui exempte de la sanction.
 
L’objectif poursuivi étant d’éviter des abus dans l’exercice de ce droit qui tend à remettre en cause le caractère institutionnel du mariage, on peut raisonnablement retenir que la charge de la preuve revient à l’auteur de l’expulsion : celui-ci se doit de justifier son acte et au besoin, invoquera son droit à la preuve. Le droit à la preuve se présente comme la prérogative reconnue à une partie d’user des moyens légaux pour obtenir les preuves d’une allégation, avec la certitude que les éléments de conviction réunis seront effectivement soumis à l’appréciation du juge (v. Goubeaux G., Les fondements juridiques de la preuve : existe-t-il un droit à la preuve ?, Rev. dr. Henri Capitant, n° 6, 30 juin 2013) Dans le cas d’espèce, c’est l’auteur de l’expulsion qui est considéré comme le demandeur sur qui pèse ladite charge. Cependant, lorsque la loi tient un fait pour établi, parce d’autres faits le rendent vraisemblables et parfois simplement possible, on dit qu’il y a une présomption légale (on distingue deux types de présomptions : les présomptions simples et les présomptions irréfragables. La présomption est simple lorsqu’elle peut être combattue par la preuve contraire. Autrement dit, celui qui bénéficie de la présomption est dispensé de la charge de la preuve, mais celui qui y a intérêt peut démontrer l’inexactitude de ce que la loi présume vrai. La présomption est dite irréfragable lorsqu’elle ne supporte pas la preuve contraire) ; ce qui dispense le demandeur de preuve (l’existence de certificats médicaux constatant à répétition les blessures graves sur la personne d’un conjoint, fait présumer les actes de violences dont il est victime de la part de l’autre).
 
S’agissant des moyens de preuve, ils sont dominés par le principe de la légalité des preuves qui a deux sens. Selon le premier sens, il signifie que sont interdites les preuves illicites par leur nature ou leur origine. On ne peut ainsi faire valoir une preuve obtenue par fraude ou par violence. D’après le second sens, le principe de la légalité des preuves veut dire que les modes de preuve sont ceux prévus par la loi, laquelle dit à quelles conditions ils sont admissibles et quelle est leur force probante (v. Tchakoua J.-M., Introduction générale au droit camerounais, Études africaines, Série Droit, l’Harmattan, 2017, n° 279, p. 184). Précisé, la volonté du législateur étant d’encadrer ce droit d’expulsion, l’on doit relever qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle qui justifierait le durcissement des exigences relatives aux modes de preuve. Cette volonté participerait donc d’une logique qui compliquerait démesurément la tâche de l’auteur de l’expulsion, appelé à payer au prix fort son acte. Aussi, afin d’alléger cette charge, il semble qu’on ne devrait pas restreindre les moyens de preuve qui se sont certainement enrichis voire développés, au contact des facteurs sociologiques et de l’innovation technologique. Par conséquent, il paraît judicieux de retenir que la preuve de la légitimité du motif se fasse par tous les moyens prévus par la loi.
 
Les modes de preuve produits par l’initiateur de l’expulsion ne peuvent être rejetés par principe. Ils doivent être examinés par le juge dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des preuves. De la sorte, ils peuvent être écartés par le juge parce qu’ils ne sont pas suffisamment précis, c’est-à-dire ne correspondent pas à une réalité concrète et objective ou alors ne laissent pas transparaître à suffisance une certaine gravité qui justifie l’expulsion, et par conséquent, n’ont aucun caractère probant.
En effet, la communauté de vie ne peut être possible sans un minimum de tolérance et de concession. Cette exigence va d’ailleurs au-delà de la communauté de vie entre époux pour s’imposer aux rapports de voisinage. En effet, les voisins sont appelés à supporter les inconvénients anormaux du voisinage si bien que la responsabilité pour trouble de voisinage n’est établie que lorsque le trouble devient excessif et anormal ; en d’autres termes, lorsqu’il dépasse les limites du supportable. Il s’agira alors d’une question de fait laissée à l’appréciation du juge du fond. Il appartiendra au juge dont l’immixtion semble justifiée, d’opérer la distinction entre les faits qui caractérisent l’érosion du couple et rendent ainsi la séparation probable de ceux qui, beaucoup plus graves, rendent intolérables le maintien de la vie commune. Il est possible de considérer que, à défaut de motif légitime, l’expulsion envisagée par l’époux n’est pas susceptible de produire l’effet juridique recherché. Le lien conjugal est préservé parce que l’auteur de l’expulsion sera sanctionné. D’où la nécessité d’une appréciation rigoureuse, stricte, objective de la légitimité du motif de l’expulsion par le juge (cette objectivité dans l’appréciation de la légitimité du motif limitera certainement les hypothèses d’expulsion) dont l’absence pourrait constituer soit une source d’insécurité pour l’autre conjoint, soit une nouvelle atteinte à la pérennité du lien conjugal  (dans tous les cas, il est établi que l’introduction de la faculté d’expulsion d’un époux par l’autre du domicile conjugal en cas de motif légitime, heurte la pérennité du lien conjugal) et par ricochet, une ouverture à la déstabilisation de la famille.
 
La conviction des juges du fond sera-t-elle facilement emportée par la production d’écrits de tous genres. Mais cet écrit qui sert de preuve doit être rédigé avant la date d’administration de la preuve : c’est pourquoi on parle d’écrit préconstitué ou acte préconstitué. Il peut s’agir d’un écrit authentique, d’un écrit sous-seing privé (un acte authentique est dressé par un officier public, par exemple, le notaire, le greffier, l’huissier, l’officier d’état civil au contraire d’un acte sous-seing privé) et même d’une lettre missive (la lettre missive est un écrit émanant d’une personne déterminée, adressée à une autre personne, le destinataire, en vue de lui communiquer une pensée ou une volonté : c’est le cas d’une lettre fermée, d’une carte postale, d’un télégramme etc.).
 
À notre sens, l’huissier serait habilité dans les situations non motivées par la violence mais fondant néanmoins l’expulsion d’un conjoint du domicile conjugal, à rédiger les actes y relatifs. On le réalise bien, un exploit d’huissier constituerait valablement un moyen de preuve, surtout que les affirmations qu’il contient feront foi jusqu’à inscription de faux. Toutefois, pour ce qui est des autres écrits, qui comprennent les courriels (les courriers électroniques recèlent souvent des déclarations et des informations utiles dans le cadre du procès, parce qu’ils véhiculent des échanges épistolaires informels, dont les correspondants ne mesurent pas immédiatement la portée. Aussi en pratique, les courriels figurent dans l’offre de preuve produite par les parties dans le contentieux familial. Ceux présentés devant les juridictions du fond sont souvent « rematérialisés » : il faut entendre par là que sont simplement produites des impressions des messages stockés dans le logiciel de messagerie. Pour accroître la force probante de ce moyen, une pratique désormais bien ancrée chez les professionnels du droit consiste à doubler l’envoi d’une lettre d’un courrier électronique, associant ainsi le support papier et le message dématérialisé (v. Cachard O., Le désaveu d’écritures : de la lettre missive au simple courrier électronique ; Cass. 1re civ., 30 sept. 2010, n° 09-68.555, RLDC 2011/4152, n° 80, p. 7 et p. 10) et les mini-messages appelés Short Message Service (SMS), rendant vraisemblables les situations qu’ils présentent, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation (c’est dire que les époux possesseurs de téléphones portables devraient veiller à faire disparaître régulièrement les mini-messages ou textos compromettants qu’ils renferment, au risque de les voir produire en justice contre eux).
 
Par ailleurs, le recours aux témoignages attestant de la légitimité du motif d’expulsion dont la gravité est avérée ou alors de l’absence de cette légitimité pourra être nécessaire. Il en est ainsi, lorsque l’expulsion est accompagnée ou précédée de violences physiques ou morales (en plus des témoignages de l’entourage, les moyens ci-après pourront être utilisés : dépôt de plainte ou de mains courantes, certificats médicaux, etc.), de la confiscation ou de la destruction des effets personnels de la victime (v. C. pén., art. 358-1, al. 2 b). Ces différentes situations constituent d’ailleurs des circonstances aggravantes de l’infraction d’expulsion du domicile conjugal. L’intervention de ces seules circonstances conduirait à ôter au moyen produit, son caractère légitime voire probant.
 
Il faut souligner qu’en plus de la caractérisation précise des violences passées, le danger auquel la victime potentielle est exposée pourra convaincre le juge, étant entendu qu’en matière de prévision de passage à l’acte, l’incertitude demeurera toujours de règle. À titre de droit comparé, le placement en droit français du conjoint violent sous surveillance électronique et l’existence d’un système de téléalarme à disposition de la victime potentielle (v. L. n° 2010-769, 9 juill. 2010, art. 6 ; il convient toutefois de relever que ce dispositif a fait l’objet de sérieuses critiques au plan de la garantie des libertés individuelles, car il ne repose pas sur le consentement de la personne surveillée et de plus, il a vocation à s’appliquer à des personnes dont la culpabilité n’est pas encore établie : v. Bourrat-Gueguen A., Vers l’instauration d’un dispositif efficace de lutte contre les violences au sein du couple ?, JCP G 2010, n° 805), pourraient attester de l’existence de la violence émanant d’un conjoint.
 
Quelles que soient les mesures envisagées, aucune n’est à même d’apporter une solution satisfaisante. Ainsi, plutôt que de militer en faveur de leur indépendance, il convient de recommander la nécessité d’une conjonction et d’une coordination. Mis en place, ce dispositif pourrait permettre de dépasser la logique exclusive, d’écarter des vérifications de façade et d’espérer un résultat qui ne heurte pas la stabilité de la famille.
 
Au final, il appartient au juge de marquer la réprobation de la société face aux comportements des époux qui bafouent les règles instituées et constituant le socle impératif du mariage. Aussi pourrait-on admettre à titre de sanction du comportement illégitime de l’auteur de l’expulsion, le retour de l’époux congédié au domicile conjugal sauf dans l’hypothèse où celui-ci s’avèrerait impossible en raison du risque encouru. Pour y parvenir, il faut retenir que le contrôle a posteriori de la légitimité du motif d’expulsion par le juge se fera en fonction des particularités de chaque espèce, c’est-à-dire soit in abstracto, soit in concreto. L’appréciation in abstracto se fait par rapport à un modèle abstrait, le bon père de famille de l’article 1137 du Code civil tandis que l’appréciation in concreto prend en compte les capacités propres de l’auteur de l’infraction : âge, sexe, caractère, intelligence, émotivité, sens moral.
 
 
CONCLUSION
 
Ayant passé l’article 358-1 du Code pénal camerounais au crible de la réflexion qui a permis de le scruter dans tous ses contours afin de mieux le décrypter, un certain nombre de constats peuvent être relevés. Il apparaît que le droit d’expulsion motivée du domicile conjugal, n’est en réalité que la figure inversée de la répudiation désormais consacrée, comme un droit appartenant exclusivement aux époux et non aux tiers. Cette contrariété des dispositions pénales et civiles remet au goût du jour la nature juridique du mariage. La mutation de l’ordre public sur la question semble avérée aujourd’hui dans la mesure où le droit d’expulsion motivée qui fragilise subrepticement la stabilité du mariage est bel et bien le reflet du caractère contractuel de cette institution (dans le même sens, la loi française n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 promeut la nature contractuelle du mariage en instaurant le « divorce sans juge »).
 
En ramenant le mariage au pur produit de la volonté des parties, on prend certainement appui sur la prohibition des engagements perpétuels pour reconnaître à chacun des époux un pouvoir de principe de mettre un terme unilatéralement à une relation contractuelle à durée indéterminée. Il faut souligner que même si ce rapprochement peut se comprendre, il y manque justement un élément consubstantiel de la rupture des contrats à durée indéterminée qui est le préavis ! L’on peut donc comprendre que la réflexion soit orientée vers cette voie. Ainsi, se pose la question de savoir si compte tenu de la durée indéterminée du mariage, n’en viendra-t-on pas un jour à se demander si chaque époux ne doit pas pouvoir y mettre fin, seul et à tout moment, quitte à respecter un délai raisonnable de préavis (v. Lemouland J.-J. et Vigneau D., Droit des couples, mai 2016-mars 2017, in D. 2017, p. 1091) ? C’est dire que cette assimilation, si elle venait à être envisagée, ne saurait être totale. Il est souhaitable que le législateur fasse primer le caractère institutionnel du mariage sur celui contractuel, en vue de sa préservation. D’ailleurs, on le voit bien, le motif légitime invoqué par l’auteur de l’expulsion du domicile conjugal de son conjoint pour justifier son forfait, au-delà de présenter une certaine gravité, doit être soutenu par les preuves. À ce titre, l’éventail des modes de preuve est suffisamment large. Cependant, leur force probante dépendra très souvent de l’appréciation qu’en font les juges. L’ouverture offerte aux époux par le législateur à travers la consécration du droit de répudiation, devra nécessairement être contrecarrée par la rigueur jurisprudentielle dans l’appréciation du motif légitime qui le fonde. C’est du moins, ce que nous appelons de tous nos vœux. Dans cette perspective, un catalogue de motifs légitimes pourrait être établi par le juge, pour limiter les disparités dans les décisions rendues. N’est-ce pas à ce prix que l’on devra restituer au mariage ses lettres de noblesse et sauver du même coup, cette institution qui semble subir de plein fouet, l’érosion de la civilisation, les facteurs sociologiques, culturels, économiques et spatio-temporels ?
Source : Actualités du droit