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Cameroun : de la simplification de la création d'une SARL

Afrique - Droits nationaux
14/09/2018
Les pouvoirs publics camerounais accomplissent des efforts appréciables d’adaptation de leur droit interne à celui uniforme OHADA. La loi du 14 décembre 2016 et son décret d’application du 28 février 2017 participent de la recherche de la simplification et de la célérité dans le processus de création des sociétés commerciales en général, et des SARL en particulier. Un objectif de premier plan poursuivi par l’AUDSCGIE révisé. L’analyse de Akono Adam Ramsès, enseignant-chercheur à la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Ngaoundéré-Cameroun.
La simplification des règles de constitution des sociétés commerciales a occupé une place de choix lors de la réforme de l’AUDSCGIE originel du 17 avril 1997. C’est un impératif qui s’inscrit en droite ligne de l’objectif général poursuivi par le droit OHADA à savoir : la sécurité juridique et l’attractivité économique.
 
Mettre à la disposition des opérateurs économiques un droit simple, sûr, mieux adapté aux réalités économiques locales et au contexte international participe de la stimulation des investissements et de la promotion de l’esprit d’entreprise au sein de l’espace OHADA. L’AUDSCGIE révisé le 30 janvier 2014 à Ouagadougou au Burkina Faso a prévu des règles d’assouplissement des formalités de constitution des sociétés commerciales en général et de la SARL, en particulier. S’agissant de cette dernière, deux mesures apportées par la réforme de janvier 2014 attirent particulièrement l’attention. D’une part, le choix laissé par le législateur OHADA aux États parties de décider par des lois internes de la forme des statuts, c’est-à-dire de l’intervention ou non du notaire dans le processus de constitution de la SARL. D’autre part, la possibilité laissée aux mêmes États de déroger par des dispositions nationales contraires au montant minimum du capital social imposé pour la constitution de la SARL.
 
La première mesure privilégie l’impératif de célérité et de souplesse dans le processus de constitution de la SARL. Selon une étude de la banque mondiale, les pays ayant rendu facultative l’intervention du notaire ont vu le nombre de nouvelles sociétés créées augmenter de 66 % dans les années suivant la réforme. Une réforme au Rwanda en 2010 a permis de multiplier par quatre le nombre de sociétés créées (en ce sens, v. Dossier spécial sur la réforme de l’AUDSCGIE du 30 janvier 2014, Dr.& patr. 2014, n° 239, p. 51). Cependant les reproches formulés par les opérateurs économiques contre l’intervention du notaire n’ont pas emporté sa disparition complète du monde des affaires. Le notaire est un officier public et ministériel chargé de l’élaboration, de l’authentification et de la conservation d’actes juridiques ayant une force juridique particulière. Il est le garant de la sécurité juridique et fait souvent office de conseiller des associés sur la portée de leurs engagements.

La deuxième mesure a pour objet de simplifier les conditions de constitution de la SARL. L’objectif poursuivi est d’augmenter le taux de création des SARL dans l’espace OHADA. Il ressortait des travaux de diagnostic des experts qui ont participé à la rédaction de l’AUDSCGIE de janvier 2014 que le capital social n’apparait plus comme un gage de sécurité pour les créanciers. La plupart des États non membres de l’OHADA n’exigent plus le dépôt d’un capital social minimal. Les pays qui ont supprimé cette exigence ont vu le taux de création d’entreprise augmenter sur leur territoire. Ainsi l’article 311 de l’AUDSCGIE révisé dispose que, sauf dispositions nationales contraires, le capital social des SARL doit être d’un million (1 000 000) de francs CFA au moins, il est divisé en parts sociales égales dont la valeur nominale ne peut être inférieure à cinq mille (5 000) francs CFA. Sur la base de cette disposition, quelques pays membres de l’OHADA ont pris des mesures sur le plan interne qui, d’une part dérogent au montant d’un million (le Sénégal, le Togo, le Burkina Faso, le Gabon ont fixé le capital social minimum à cent mille (100 000) francs CFA ; la Côte d’Ivoire et le Bénin ne fixent pas le capital social minimum, la liberté étant laissée aux associés de le faire), d’autre part, laissent l’entière liberté aux associés de fixer le montant minimal du capital social.
 
Le Cameroun en tant que pays à part entière de l’OHADA n’est pas en reste. Ses pouvoirs publics ont pris la mesure de la difficulté que rencontrent les promoteurs des petites et moyennes entreprises (PME) pour rassembler le montant d’un million imposé par l’AUDSCGIE originel. De ce fait, ils ont successivement pris une loi le 14 décembre 2016 qui détermine le capital social minimum et les modalités de recours aux services du notaire dans le cadre de la création d’une société à responsabilité limitée et un décret d’application du 28 février 2017. Ce texte du premier ministre fixe les modalités d'authentification des statuts de la SARL établis sous seing privé dans les centres de formalité de création d'entreprises (CFCE). En règle générale, ces textes participent de la recherche de la simplification et de la célérité dans le processus de création des sociétés commerciales en général, et des SARL en particulier. De leur lecture, il en ressort une réduction du montant minimum du capital social et les modalités de recours aux services du notaire dans le cadre de la création d’une SARL.
 
La réduction du montant minimum du capital social d'une SARL par les textes camerounais
En conformité avec les articles 10 et 311 de l’AUDSCGIE révisé du 30 janvier 2014, le Cameroun, par la loi n° 2016/014 du 14 décembre 2016 (pour un commentaire succinct de cette loi en comparaison avec celle Gabonaise, v. Akam A., Simplification des règles de création des SARL au Cameroun et au Gabon, LEDAF mars 2017, n° 110e8) a fixé à cent mille (100 000) francs CFA le montant minimum du capital social de la SARL. C’est le dixième du montant prévu par l’article 311 de l’AUDSCGIE, à savoir un million de francs CFA. Selon l’article 2 de la loi précitée « (1) le capital social minimum d’une société à responsabilité limitée est fixé à cent mille (100 000) FCFA. (2) il est divisé en parts sociales égales dont la valeur nominale ne peut être inférieure à cinq mille (5 000) francs CFA ». Cette somme paraît adaptée à la surface financière de bon nombre de petits entrepreneurs opérant dans le secteur informel, lequel occupe une place très importante du tissu économique des pays de l’espace OHADA. L’objectif à long terme étant de permettre la sortie du secteur informel de milliers de petits entrepreneurs en leur permettant avec peu de moyens de créer leur société. La consécration du statut de l’entreprenant par l’AUDCG du 15 décembre 2010 (en ce sens, v. Foko A., La consécration d’un nouveau statut professionnel dans l’espace OHADA : Le cas de l’entreprenant, Cahiers juridiques et politiques, Revue de la faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université de Ngaoundéré 2010, p. 51) et l’institution de procédures collectives simplifiées adaptées aux petites et moyennes entreprises par l’AUPC du 10 septembre 2015 procèdent de cette logique (en ce sens, v. Bakary D., Des procédures adaptées aux « petites » entreprises : Les procédures simplifiées, in Modernisation de l’Acte uniforme sur les procédures collectives, Dossier spécial, Dr. & Patr. 2015, n° 253, p. 44).
 
Cette faculté de dérogation n’a pas été prévue par le législateur OHADA pour la société anonyme (SA). Cette dernière est une société dans laquelle les actionnaires ne sont responsables des dettes sociales qu’à concurrence de leurs apports et dont les droits de ceux-ci sont représentés par des actions. Le capital social minimum de la SA est fixé à dix millions (1 000 0000). Il apparaît que cette société présente une structure plus lourde pour les petites et moyennes entreprises. Son organisation et son fonctionnement laissent moins de liberté aux associés. Les inconvénients attachés à la SA ont convaincu les pouvoirs publics de l’OHADA d’instituer la société par actions simplifiée (SAS). Cette structure donne aux entrepreneurs une très grande liberté dans l’organisation et le fonctionnement de la société (Merle Ph., Une grande nouveauté : L’introduction de la SAS dans l’espace OHADA, in Dossier spécial sur la réforme de l’AUDSCGIE du 30 janvier 2014, Dr. & Patr. 2014, n° 239, p. 55). La SAS est définie par l’article 853-1 comme une société instituée par un ou plusieurs associés et dont les statuts prévoient librement l’organisation et le fonctionnement de la société sous réserve des règles impératives instituées par l’AUDSCGIE. Les associés de la SAS ne sont responsables des dettes sociales qu’à concurrence de leurs apports et leurs droits sont représentés par des actions. D’aucuns ont vu en cette consécration un penchant du législateur OHADA pour une conception plus contractuelle de la société commerciale (Desmonds Eyango Djombi A., La contractualisation du droit des sociétés commerciales de l’OHADA, Penant n° 893, oct.-déc. 2015, p. 433).
 
Quid, maintenant, des modalités de recours aux services d’un notaire dans la constitution de la SARL ?
 
Le recours non obligatoire aux services d’un notaire lors de la création d'uneSARL
De la lecture des textes camerounais précités, il ressort que le recours aux services du notaire dans le cadre de la création d’une SARL n’est plus obligatoire.
 
Les textes camerounais sont conformes au droit OHADA des sociétés commerciales. Selon l’article 4 de la loi camerounaise du 14 décembre 2016, le recours aux services du notaire est optionnel pour la création d’une SARL, lorsque cette dernière est créée sous la forme unipersonnelle ou lorsque son capital est inférieur ou égal à un million de francs CFA. Le principe reste néanmoins inchangé, les statuts de la SARL peuvent être établis par acte notarié ou par tout acte offrant des garanties d’authenticité, déposé avec reconnaissance d’écriture et de signatures par toutes les parties prenantes.
 
Lorsque les statuts de la SARL sont établis par acte sous seing privé, leur authenticité est garantie par les centres de formalités de création d’entreprises avec reconnaissance d’écriture et de signatures par toutes les parties prenantes.
 
Le décret du premier ministre pris le 28 février 2017, en application de l’article 3 de la loi du 14 décembre 2016 fixe les modalités d’authentification des statuts de la SARL établis sous seing privé dans les centres de formalités de création d’entreprises. Ces centres sont des structures qui regroupent en un seul lieu géographique tous les services administratifs intervenant dans la création d’entreprises, ce sont en d’autres termes des guichets uniques de création d’entreprises. Ce regroupement des services administratifs a pour objectif de réduire de manière considérable les délais de création d’entreprises qui devraient ainsi passer d’une moyenne de 90 jours à 72 heures.
 
L’instruction du premier ministre, chef du gouvernement du 18 mars 2010 relative aux formalités administratives de création d’entreprises au Cameroun s’inscrit dans le cadre du processus d’amélioration de l’environnement des affaires. Cet acte a pour effet de lever les nombreuses difficultés relatives aux démarches administratives de création d’entreprises auxquelles sont confrontées les opérateurs économiques nationaux et étrangers désireux d’investir au Cameroun. L’objectif visé par la mise en place des centres de formalités de création d’entreprises était de ramener en un seul lieu physique les formalités de création, de modification et de cessation d’activités des entreprises jusque-là disséminées dans plusieurs administrations localisées dans différents points géographiques. Est aussi poursuivi, l’objectif de simplification des procédures et de réduction des coûts et délais desdites formalités.
 
Le décret du premier ministre précité qui fixe les modalités d’authentification des statuts de la SARL établis sous seing privé dans les centres de formalités de création d’entreprises donne la prérogative au chef du centre de formalités de création d’entreprises d’assurer l'authentification des statuts de la SARL établis sous seing privé. Cette authentification doit se faire dans un délai de vingt-quatre (24) heures à compter du dépôt de la demande d'authentification par la signature du chef du centre au bas desdits statuts et par apposition sur chaque page d'un cachet portant la mention « Authentifié par le CFCE ». L’authentification est précédée par une vérification par le chef du centre conformément à l’Acte uniforme révisé du 30 janvier 2014 relatif au droit des sociétés commerciales de la forme de la société ; la dénomination sociale suivie, le cas échéant, de son sigle ; la durée ; le montant du capital social ; le nombre et la valeur des parts sociales émises en distinguant, le cas échéant, les différentes catégories des parts créées ; les modalités de fonctionnement. Les statuts établis et dûment authentifiés sont dressés en autant d'originaux, qu'il est nécessaire pour le dépôt d'un exemplaire au siège social et l'exécution des diverses formalités requises par les textes en vigueur. Un exemplaire original est remis à chacun des associés et une copie est tenue à leur disposition par la société, au sein de son siège social.
 
L’exigence d’un bref délai participe manifestement de la recherche de la célérité dans le processus de création des sociétés commerciales en général et des SARL en particulier.
 
En définitive, l’on ose espérer que la mise en œuvre effective de ces nouveaux textes nationaux fera de la SARL la forme sociale la plus prisée des sociétés commerciales prévues par le législateur OHADA. Espérons également qu’elle permettra d’améliorer le classement du Cameroun par le rapport Doing Business de la banque mondiale sur la facilité à réaliser des affaires. Ne perdons pas de vue que la création d’entreprise constitue le premier indicateur analysé par la Banque mondiale pour déterminer le degré d’attractivité d’un pays.
 
 
 
Source : Actualités du droit