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Déséquilibre significatif : premières précisions de la Cour de cassation depuis la réforme de 2016

Civil - Contrat
Affaires - Droit économique
01/02/2022
La Cour de cassation précise le champ d’application de l’article 1171 du Code civil : la clause résolutoire de plein droit d’un contrat de location financière en cas d’inexécution par le locataire, au seul profit du loueur, ne crée pas de déséquilibre significatif.
L'ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil la notion de déséquilibre significatif dans un contrat d'adhésion : toute clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite (C. civ., art. 1171). La Cour de cassation, dans un arrêt du 26 janvier 2022, vient préciser l’articulation des règles de droit commun et celles de droit spécial et reprend le critère du défaut de réciprocité pour apprécier le déséquilibre.

Pour les besoins de son activité, une entreprise de restauration rapide signe en septembre 2017 un contrat de location de matériel avec une société de financement. En juillet 2018, à la suite de loyers impayés, le loueur met en œuvre la clause résolutoire de plein droit des conditions générales du contrat (art. 12, a)) pour défaut de paiement des loyers. Le locataire oppose l’existence d’un déséquilibre significatif entre leurs droits et obligations. En première instance, il est condamné à payer les sommes dues.

L’arrêt d’appel, infirmatif, juge que la clause litigieuse crée un déséquilibre significatif en raison de son absence de réciprocité, qu’elle est donc réputée non écrite ; le contrat de location n'est pas résilié et se poursuit jusqu'à son terme. L’entreprise de restauration est condamnée à verser au loueur une seule somme au titre des échéances échues impayées et non la totalité des loyers non échus, l’indemnité de résiliation et la majoration de 10 % prévue par la clause pénale.

Pour contester cette décision, le loueur invoque dans son pourvoi la violation de l’article 1171 du Code civil :
  • cet article ne s’applique pas aux relations entre commerçants ;
  • la clause résolutoire de plein droit, au seul profit du loueur, en cas d’inexécution par le locataire, ne crée pas de déséquilibre significatif, s’expliquant par l'objet même du contrat de location financière, à savoir le financement de l'intégralité du prix des matériels loués.
Application de l’article 1171 du Code civil par défaut. – La Cour de cassation rejette le premier argument : l’article 1171 du Code s’applique aussi aux relations entre commerçants. Elle revient aux travaux parlementaires pour assoir son affirmation : « Il ressort des travaux parlementaires de la loi du 20 avril 2018 ratifiant l’ordonnance de 2016 que l'article 1171 du Code civil, qui régit le droit commun des contrats, sanctionne les clauses abusives dans les contrats ne relevant pas des dispositions spéciales des articles L. 442-6 du Code de commerce et L. 212-1 du Code de la consommation. Cet article s'applique donc aux contrats, même conclus entre producteurs, commerçants, industriels ou personnes immatriculées au répertoire des métiers, lorsqu'ils ne relèvent pas de l'article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 24 avril 2019, applicable en la cause » (désormais art. L. 442-1, I). Les contrats de location financière conclus par les établissements de crédit et sociétés de financement « ne sont pas soumis aux textes du Code de commerce relatifs aux pratiques restrictives de concurrence (Cass. com., 15 janv. 2020, n° 18-10.512, publié au Bulletin) ».

Appréciation du déséquilibre : reprise du critère du défaut de réciprocité. – En revanche, la Cour suprême censure la cour d’appel sur le second. Elle rappelle que l'appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix à la prestation. La clause litigieuse prévoyait, dans son paragraphe a), on l’a vu, la faculté pour le loueur de se prévaloir d'une résiliation de plein droit en cas d’inexécution par le locataire de ses obligations, particulièrement celle de payer les loyers, qu'aucune autre stipulation n'ouvrait au locataire. Pour elle, « Le défaut de réciprocité de la clause résolutoire de plein droit pour inexécution du contrat prévue à l'article 12, a) des conditions générales se justifie par la nature des obligations auxquelles sont respectivement tenues les parties ».
 
Par ailleurs, dans son paragraphe b), la clause stipulait d’autres cas de résiliation de plein droit pour des causes qui ne correspondaient pas à des manquements contractuels de la société locataire (hypothèses tenant à sa vie sociale ou à l'exécution d'autres contrats), sans que ces possibilités soient laissées à l’entreprise de restauration. La cour d’appel s’est appuyée sur ce paragraphe b) créant un déséquilibre pour réputer non écrite la totalité de l’article 12. Elle a violé l’article 1171, ces clauses a) et b) étant distinctes tant par leur objet que par leur nature juridique, comme le soutenait le locataire.
 
Le praticien devra tirer les conséquences de cette première décision, tant sur le texte applicable que sur la rédaction des clauses du contrat d’adhésion.
 
Pour aller plus loin, voir Le Lamy droit du contrat, nos 1302 et s. et Le Lamy Droit économique, nos 3107 et s. Et également la Revue Lamy Droit des affaires 2018/140, n° 6519, Witz Cl., La nouvelle définition du contrat d’adhésion et ses effets sur les clauses sources de déséquilibre significatif ; La Revue Lamy Droit civil 2018/160, n° 6449, Cayol A., Le contrat d’adhésion : un contrat spécial ?
Cet arrêt sera commenté dans une prochaine revue Lamy Droit civil.

 
Source : Actualités du droit